Le bruit – Un choix esthétique
Le bruit est considéré comme un défaut. Les logiciels de postproduction le corrigent d’emblée. L’utiliser à des fins esthétiques, à l’instar des films argentiques au grain marqué, élargit pourtant le champ créatif de nos photographies.
Le fichier original de 2592 x 3872 pixels est recadré à 1132 x 1711 pixels. Initialement, il comporte déjà beaucoup de bruit, en raison de son capteur CCD de 10 MP d’ancienne génération et de la haute sensibilité sélectionnée (Nikon D200, 1600 ISO). Après ce fort recadrage, si l’on veut faire un tirage A4, il faut le rééchantillonner dans Photoshop. Du bruit est ajouté avant l’impression pour obtenir un grain net.
Du grain argentique au bruit numérique
Une photographie sans le moindre grain visible est une obsession très partagée depuis Daguerre. Dans le livre “La Photo”, publié chez Denoël en 1976, Jeanloup Sieff dit du film Kodachrome qu’il est “formidable, extraordinaire, génial (…). Pas de grain, pouvoir séparateur inouï et couleurs paradisiaques. Mais il ne fait que 25 ASA”. Il poursuit sur le pointillisme du peintre Georges Seurat en suggérant d’employer de l’Ansco 500 (connu aussi sous le nom de GAF Anscochrome 500, dans les années 1970), un film diapositive au grain très marqué. Avec nos capteurs numériques, les enjeux sont similaires, mais à une autre échelle. Le bruit numérique est dû à une amplification du signal par le traitement électronique de l’image. Il apparaît quand on fait monter les ISO. Les appareils à capteurs anciens génèrent plus de bruit, notamment les CCD. À 100 ISO, le bruit est quasiment invisible. Plus on monte en sensibilité, plus il est présent.
Oser le bruit
Considéré comme une imperfection, ce bruit est corrigé systématiquement par les logiciels qui traitent les fichiers Raw, ne serait-ce que pour corriger le bruit de couleur ou bruit chromatique. Mais ce bruit, qui n’est pas sans rappeler le grain des films argentiques de haute sensibilité, peut être accepté ou recherché pour des raisons esthétiques. En noir et blanc, les exemples sont légion : Ralph Gibson, René Groebli, William Klein, Daido Moriyama, Sebastião Salgado, etc. Le grain dramatise l’image ou au contraire nous plonge dans un univers onirique : Sheila Metzner ou Sarah Moon l’ont exploité dans ce sens. Les campagnes Cacharel des années 1980, en couleur, ajoutaient une touche de nostalgie, rappelant les plaques Autochrome des frères Lumière. Alors, osons le grain et le bruit avec nos boîtiers numériques.
Recadrer pour rendre le bruit plus visible
On peut s’inspirer des pratiques argentiques pour rendre le bruit plus visible : comme André Kertész ou William Klein autrefois, n’hésitez pas à recadrer fortement l’image. Dans notre exemple, nous sommes partis d’un recadrage fort d’une image d’une trapéziste en plein vol. Le flou donne du mouvement à l’image. Le recadrage du fichier original de 10 MP (2592 x 3872 pixels) est réduit à 1132 x 1711 pixels. Affichée à 100% sur un écran de 27 pouces de 2560 x 1440 pixels, le bruit, agréable, est bien visible. Mais sera-t-il visible de la même façon sur un tirage, sur un site Internet ou sur un réseau social consulté sur un smartphone ? Prenons l’exemple de l’écran Retina d’un Apple MacBook Pro ou MacBook Air, dont les 13 pouces affichent 2560 x 1600 pixels et une résolution de 227 pixels par pouce. Une image observée à 100 % donnera une idée assez proche du bruit restitué sur un tirage, mais il sera bien moindre que celui perçu sur l’écran de 27 pouces de 2560 x 1440 pixels dont la résolution est de 108 ppp. Le bruit ou toute autre forme de grain s’ajoute en fonction du support final et de la taille de l’image sur ce support.
Rattrapage des défauts
Des zones de l’image peuvent avoir des défauts, comme une perte de détails due à une surexposition locale. Quand ces défauts sont de petites dimensions, ils n’affectent pas l’image. Mais un fort recadrage peut les rendre perturbants. En recadrant fortement l’image, la partie gauche de la combinaison de la trapéziste, qui est surexposée, sans détail rattrapable, prend trop de place. Une retouche s’impose.
Rééchantillonnage
Sur un tirage, le bruit n’apparaît pas de la même façon que sur un écran. Il dépend de la taille du tirage et de la résolution de l’image. Notre image recadrée est de 1711 x 1132 pixels, soit 14,49 x 9,58 cm pour une résolution de 300 ppp. Mais nous voulons réaliser un tirage de 28 cm de long. Il faut donc rééchantillonner l’image. L’impression est réalisée sur une imprimante Epson SC-P800. Sa résolution native est de 360 ppp. C’est-à-dire que le pilote interpole tous les fichiers qu’il reçoit à 360 ppp. En rééchantillonnant l’image à cette valeur, le pilote ne modifiera pas sa résolution. L’image passe donc à 3969 x 2626 pixels, pour une dimension de 28 x 18,52 cm à 360 ppp. L’algorithme de rééchantillonnage “Conserver les détails 2.0” est le plus performant pour augmenter la taille de l’image. Mais quand on accroît celle-ci, le bruit se dilue un peu. On va donc en réintégrer après le rééchantillonnage à 360 ppp, de façon que sa structure apparaisse sans altération.
L’image est rééchantillonnée dans Photoshop.
Le bruit dosé pour le tirage
L’ajout de bruit peut se faire dans Lightroom après avoir rééchantillonné l’image retouchée dans Photoshop. Dans Lightroom, nous utilisons l’effet de grain avec les paramètres suivants : Valeur 50, Taille 50, Cassure 50. Il peut s’évaluer à l’écran avec une taille d’image proche de celle de l’impression. Mais il est souvent nécessaire de l’ajuster pour affiner le rendu final. La perception d’une image à l’écran diffère de sa représentation sur un tirage. En dehors de Lightroom, le grain peut s’ajouter dans Photoshop (Filtre>Bruit>Ajout de bruit) ou grâce à des plug-ins comme DXO FilmPack ou Nik Collection qui simulent des films argentiques, en noir et blanc comme en couleur. Mais demeure une grande différence entre le bruit et le grain du film : sur une image numérique, le bruit est peu présent dans les hautes lumières par rapport aux ombres et aux valeurs moyennes. Dans un autre registre, sur un film granuleux, la résolution de l’émulsion est moyenne, voire faible, et les détails se fondent dans le grain de l’émulsion. En numérique, si l’on ajoute du bruit, il apparaît souvent factice quand il est appliqué sur une image aux contours trop nets. Dans ce dernier cas, il vaut mieux très légèrement réduire la netteté de l’image et ensuite appliquer le bruit.
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Texte et photos : Philippe Bachelier, professeur de Techniques d’impression à Spéos